Imanol Lizarralde
2 – Contradiction fondamentale et contradiction principale
La principale réussite du MLNV est d’avoir amené Euskalerria au seuil d’un changement politique « qui aura comme axe la reconnaissance du droit à décider (droit d’autodétermination)… Dans la libération nationale et sociale, voilà le nouveau cycle politique que nous sommes en train d’ouvrir » (p.32. A ce cycle, à caractère local/étatique, se superpose un autre cycle qui est mondial et systémique :
« Nous sommes également dans un changement de cycle économique. Cela ne veut pas dire que le modèle capitaliste actuel va s’effondrer de lui-même. Mais si nous prenons en compte la crise systémique que traverse ce modèle, au point de vue socio-économique, nous pouvons affirmer que nous sommes dans une transition. Cette transition peut prendre deux directions différentes :soit rénover l’actuel système capitaliste, ce qui nous précipiterait dans un modèle qui engendrerait une oppression plus grande et plus cruelle ; soit amener notre peuple vers un modèle socialiste qui transformerait à la racine la situation actuelle » (p.32).
Ces deux cycles correspondraient à la contradiction principale (Etat contre peuple) et à la contradiction fondamentale (capital contre travail) dans la situation actuelle, de façon à ce que les changements et les crises du modèle politique et économique, les deux réunis, puissent converger vers une perspective révolutionnaire. « L’objectif, donc, est de mener à bien une transition globale en Euskal Herria par le chemin du processus démocratique ».
De quelle manière le texte envisage-t-il cet entrecroisement de contradictions locales/étatiques/mondiales ? Comment le MNLV insèrera-t-il son impératif d’accumulation des forces, tant à l’intérieur qu’à l’extérieure de la table de négociation ? Le document s’exprime ainsi :
« La transition qu’il s’agit de mener à bien en Euskal Herria, devra se caractériser par la confrontation entre les modèles socio-économiques et les classes sociales. Ce conflit est totalement uni aux rapports de forces et aux moyens à obtenir en tant que peuple. Il est prioritaire de présenter une « offre intégrale ayant une perspective nationale et de classe, et que le Peuple Travailleur Basque soit le moteur du processus de changement » (p.33).
Ces forces doivent tourner autour d’un « programme minimal », comprenant la négociation sur la situation des prisonniers et l’application des deux points du Document de Gernika, dont l’objectif est de « développer le processus populaire, qui aura une nature constituante » (p.34). Car il s’agit d’une « offre qui comble les désirs et les besoins de la société basque, offre aussi bien tactique (Euskal Herria et le droit à décider), que stratégique (indépendance et socialisme) » (p.34).
Il y a un autre aspect de la contradiction « peuple contre Etat » que nous devons souligner. C’est celui de l’appel clair que fait le texte à une conscience globale de ce qui est basque, bien au delà des limites de l’autonomie et des limites étatiques. « Euskal Herria » s’affronte ainsi aux « deux Etats », l’espagnol et le français. En dépit de ce que les offres et les rythmes soient différents, ces derniers convergent dans le dessein global que le MLNV a choisi pour les 7 provinces basques. Bien que « Udalbiltza » paraisse être un référent paraétatique faible pour représenter cette réalité globale, nous ne devons pas oublier que ce texte joue sur un sentiment que beaucoup de Basques ressentent, et qui peut être utilisé pour alimenter la confrontation. Face à « l’unité » de Euskal Herria contre les Etats, il doit aussi exister, de la part des nationalistes, un projet stratégique pour les provinces basques qui soit constructif, y qui n’oublie ni n’imite la confrontation.
Unilatéralité, initiative, hégémonie.
La contradiction principale est définie, par le texte, en termes d’affrontements peuple contre Etat : « La nouvelle phase est fondée sur la confrontation que Euskal Herria mène contre les deux Etats » (p.34). L’obtention de l’hégémonie à l’intérieur du cadre basque sera nécessairement liée à l’obtention d’une position dominante face à l’Etat, ce qui signifie « faire basculer la majorité sociale, politique et institutionnelle en faveur du changement politique et social (…) et la capacité pour mener à bien et influencer ce changement ». Ceci signifie :
« Choisir l’articulation de gauche des cadres favorables à l’indépendance et à la souveraineté, en lieu et place de l’hégémonie de l’autonomisme et des différents cadres actuels du pouvoir ».
Nous voyons deux aspects : l’aspect représentatif-institutionnel (que détient actuellement le PNV en tant que force majoritaire), et l’aspect plus profond, celui du fonctionnement « des différents cadres actuels du pouvoir » (qu’il soit politico-institutionnel ou non), où il convient aussi de conquérir l’hégémonie.
Arrivés ici, s’impose à nous la nécessité d’analyser le concept « d’unilatéralité ». Ce concept se divise en deux significations opposées. D’un côté, le sens que donnent de nombreux politiciens : le MLNV ferait les geste nécessaires pour obtenir le désarmement d’ETA. Puis vient le sens que lui accorde le MLNV lui-même, qui est bien différent. Revenons un moment sur l’analyse de la crise de 2006 : « Avec tout cela, il fallait reprendre l’initiative, pour sortir de ce piège et pour poser les fondations d’un nouveau cycle politique qui ait le changement comme objectif « (p.25). L’unilatéralité sera le processus de construction d’une accumulation des forces suffisantes pour faire bouger l’Etat et obtenir une position dominante par rapport à lui. La clef consiste à « prendre l’initiative », ce qui signifie que le MLNV, une fois de plus crée une phase de détente militaire, afin d’avancer dans la lutte. Le document rappelle la définition suivante du concept :
« Cela est une des caractéristique de la stratégie : que nos positions se fortifient sans arrêt dans notre nation ; et que les Etats s’usent tant qu’ils peuvent. Le bloc pour le changement qui devra s’articuler de façon permanente, devra s’agrandir et s’organiser. Il aura pour tâche de fixer les initiatives nouvelles basées sur cette situation dynamique. D’une part, principalement, en Euskal Herria, il se convertira en un bloc hégémonique afin d’avancer de façon unilatérale, en passant des accords avec les secteurs qui sont favorables au sécessionnisme » (p.42).
Tout ceci se concrétise dans une série de « défis majeurs communs » :
« – compléter les majorités favorables à la reconnaissance et au droit à décider (droit d’autodétermination) de Euskal Herria.
– exiger et exercer le leadership de la route vers la solution du conflit.
– mener à bien la stratégie pour la construction nationale et la structuration institutionnelle
– diriger la transformation sociale et économique.
– Faire des ouvertures électorales entre la force abertzale et celles de gauche » (p.36)
Ces objectifs à poursuivre ont « leur zone d’action dans tout Euskal Herria » et il revient au MLNV lui-même de mener ce travail, en un processus de haut vers le bas : « on se basera sur les avancées réalisées de province à province, de territoire à territoire, de village à village. Ces citoyens appuieront la poussée du peuple et le processus de nature nationale ». Il s’agirait d’un flux à double sens entre le mouvement révolutionnaire et les masses, avec l’intention d’exercer une pression effective sur l’Etat, une fois obtenue « l’hégémonie » dans le cadre basque.
L’unilatéralité serait ainsi, de façon parallèle, le déploiement de la stratégie du MLNV aux quatre coins de la société, avec l’intention d’agiter la société et d’accumuler les forces nécessaires. Il convient de bien différencier les phases, car, comme le dit le document : « les forces que nous avons dans la société, et la confrontation avec l’Etat sont des phases différentes (…). Unifier progressivement les forces de Euskal Herria nous rend plus forts et efficaces dans le processus national et dans la confrontation avec les deux Etats ». C’est pour cela que la première phase, celle de l’hégémonie dans le cadre basque, est celle qu’il convient de travailler de façon prioritaire en ce moment.
L’unilatéralité a, aussi, une autre vertu : celle de ne pas engager le MLNV au delà de ses propres décisions. L’engagement avec les autres agents politiques (avec le PNV à Lizarra, avec l’Etat lors des différents processus de négociation) a entrainé des revers postérieurs qui ont eu des influences internes et externes. Dans ce sens, dit ETA, d’une part, « il faut une union avec les décisions que doit prendre l’Organisation », tandis que d’autre part, «nous nous trouvons dans le moment du processus et du choix actuels ; ce n’est pas le moment de prendre des décisions qui peuvent nous emprisonner » (p.50)